Présentation de Théodor Reik (1888 à Vienne – 1969 à New York)
Psychanalyste autrichien qui a fait des études de lettres et de philosophie. Disciple de Freud, il est l’un des premiers psychanalystes non-médecin. A fait une psychanalyse avec K.Abraham. Avec l’arrivée du nazisme, il quitte l’Autriche pour la Haye, puis pour les Etats Unis en 1938. Il s’est beaucoup intéressé à la musique (Variations psychanalytiques sur le thème de Gustave
Mahler – 1973) et à la littérature (Thèse en 1922 sur la Tentation de Saint Antoine de Gustave Flaubert).
Dans son texte sur l’effroi écrit en 1924-1926, Th.Reik précise que l’effroi n’est qu’un cas particulier de surprise.
Définition Larousse de l’Effroi
Grande frayeur, épouvante, terreur.
Approche freudienne
La notion de traumatisme se rapporte à un événement personnel de l’histoire du sujet, parfaitement identifiable, se caractérisant par des affects pénibles qu’il peut déclencher et que le sujet ne peut abréagir (décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect attaché au souvenir d’un événement traumatique lui permettant de ne pas rester pathogène). Très tôt, Freud attribue une origine sexuelle au traumatisme (première scène pathogène dite de séduction, puis seconde scène d’apparence anodine qui vient révéler la première et faire trauma), il reconnait une compulsion de répétition ainsi que l’absence de préparation au choc extérieur à venir.
Th.Reik reviendra sur la théorie freudienne qui met en lien la commotion mécanique avec l’excitation sexuelle. Selon lui, le choc libère un quantum d’excitation sexuelle qui en vient à exercer une action traumatique en raison de l’absence de préparation à l’angoisse. Cette libération s’apparente à une décharge sexuelle.
« Le Sexe et l’effroi » de Pascal Quignard (1996)
Dans son ouvrage, P. Quignard rappelle que le mot grec de phallos se dit en latin fascinus. Le fascinus arrête le regard au point qu’il ne peut s’en détacher. Il cite Sénèque le Père qui a rédigé un petit roman autour de Parrhasios, le peintre qui lie le regard et la mort qui vient. C’est le regard d’effroi. Parrhasios attribuait ce regard aux visiones nocturnae qu’apportent les rêves.
A propos du fascinus, il y a fascination devant le choc traumatique. Cette fascination qui renvoie au pénis ou au phallus, amènera le sujet, dans certains cas à répéter ou chercher à répéter la scène traumatique (répétition et fixation) afin de tenter d’apporter une solution à la souffrance subie.
Certains sujets vont chercher à se mettre en danger et rechercher même une mise en situation de plus en plus dangereuse pour tenter de « conjurer » le sort et essayer de maîtriser toujours plus le danger, pousser le risque plus loin.
Dans la mesure où le fascinus est la traduction latine du phallos grec, le choc traumatique doit sans doute trouver un sens dans le sexuel.
Approche et développement de Théodor Reik
Stimulus externe et effet de surprise
Son travail va porter sur des observations de névroses traumatiques et non d’analyses. Ces hypothèses reposent sur des concepts conjecturaux qui demandent à être vérifiés à l’aide d’investigations spécifiques.
Il va comparer névroses traumatiques (d’accident notamment) et névroses non traumatiques (principalement de rêves).
Pour deux sujets différents, en fonction de la barrière de protection et donc de la tolérance ou force du Moi, une même excitation extérieure pourra avoir des effets différents. L’un sera sujet à une névrose traumatique, l’autre, non.
Le stimulus externe n’apparaît pas sous sa forme propre dans le rêve mais est toujours méconnu et prend une autre forme (cf. rêve du psychologue français Maury).
Il considère qu’il faut aussi prendre en considération le rapport temporel entre les deux phénomènes (stimulus et rêve).
Le travail du rêve est extrêmement rapide et que l’impact du choc physique ou psychique permet au travail du rêve de formuler une histoire complète dans un laps de temps extrêmement court.
Reik met en avant qu’il y a une corrélation entre la force du refoulement et l’angoisse émergente. Plus le refoulement est important et ancien et plus l’angoisse est forte, manifeste et traumatique.
Le choc réveille un fantasme ancien refoulé et plus ce refoulement serait ancien (remonterait notamment à la petite enfance) plus la névrose traumatique serait forte.
Lorsque le choc se présente et que le « point d’impact » est établit avec le sujet, dans un laps de temps très bref, il se créé un black out entrainant une mise en sommeil profond / perte de conscience du sujet.
A cela, il convient de prendre en compte également un facteur fondamental constitutif de « l’effroi », c’est l’état de surprise du sujet au moment du choc, le sujet n’est pas préparé.
Le fantasme ancien refoulé est, selon Freud, tout prêt en mémoire.
La re-connaissance de cet objet refoulé participera à l’étonnement de l’individu. Il y a donc un effet de surprise en amont et un étonnement en aval du choc.
Reik compare la surprise dans l’effroi avec la fonction de surprise créée par une œuvre d’art que l’on voit pour la première fois.
Dans le cas de l’effroi en période de rêve, le sujet n’est pas préparé à subir le choc psychologique ou émotionnel et se trouve dans un état inconscient (restes traumatiques).
Dans le cas de la névrose traumatique d’accident, le sujet n’est pas préparé mais se trouve en état conscient.
Pas de corrélation entre l’intensité des stimuli sur le sujet et l’importance de la névrose traumatique.
Retour du refoulé et complexe de castration
L’angoisse est liée non pas au stimulus somatique mais plutôt au fantasme éveillé par ce stimulus, celui-ci ayant le rôle de facteur déclenchant.
Rêve de Maury => complexe de castration lié à l’intensité de l’angoisse.
Le fantasme ancien refoulé retrouve des racines dans des complexes infantiles. L’intensité de l’angoisse tient au fait que le matériel refoulé depuis longtemps ressurgit brutalement avec effraction dans la conscience du sujet.
Importance de l’effet de surprise dans la compréhension de l’effroi et la formation des névroses traumatiques. Néanmoins, cet effet de surprise est insuffisant pour expliquer l’effraction du pare excitation.
La surprise serait l’expression de la difficulté éprouvée à reconnaître une donnée autrefois familière mais devenue inconsciente.
La surprise pourrait même traduire l’intensité de dépense d’énergie affective requise pour l’identification de cette donnée inconsciente.
Le « roman » se déroulant du fait de la brisure du pare-excitation est centré autour du thème de la castration et lié à un sentiment de culpabilité.
Il y a actualisation d’une angoisse ancienne et le choc est d’autant plus fort que le
refoulement est ancien et enfoui.
Le stimulus peut être tout à fait insignifiant ou anecdotique et faire émerger de manière très violente des souvenirs ou affects à caractère traumatique.
L’angoisse / effroi sont liés à la levée brutale et rapide des résistances mises en place depuis longtemps du fait de refoulements précoces.
Le retour du refoulé et le processus de création qui l’accompagne sont liés à un événement extérieur et non pas à une pulsion intérieure.
Reik va prendre en compte alors l’intervention de la loi divine, extérieure, mystérieuse et vengeresse => punition
Le pressentiment ancien refoulé du désastre se matérialise brutalement, de manière inattendue créant ainsi une angoisse que Reik désigne comme étant l’effroi.
Cette manifestation inconsciente d’angoisse redoutée et refoulée prend corps sous une forme ou dans des circonstances différentes.
Pour Freud, le manque de préparation du sujet à accueillir cette angoisse et son origine sexuelle sont les traits caractéristiques de l’effroi.
La préparation à l’angoisse n’est pas complètement absente, il y a une trace de préparation dans la mesure où le sujet redoute que le désastre se produise tôt ou tard.
L’attente de cette catastrophe est comme une préméditation par le sujet. Cette attente et l’explosion face au désastre ont un lien avec la jouissance et la libération d’une tension.
Angoisse préliminaire et angoisse finale
Reik introduit la distinction entre l’angoisse préliminaire et l’angoisse finale et fait un parallèle entre le plaisir préliminaire et le plaisir final dont parle Freud.
Pour Reik, l’angoisse préliminaire constitue la préparation psychique à un danger imminent, externe ou interne.
Il s’agit d’une tentative de première instance pour établir un contrôle sur le danger à venir.
L’angoisse préliminaire constitue une évocation de la situation redoutée, l’angoisse finale constitue la réaction prouvée face au danger.
L’effroi se situe au niveau de l’angoisse finale et, en l’absence de toute angoisse préliminaire, il acquiert une intensité et une puissance affective toute particulière.
On peut donc supposer que plus l’angoisse préliminaire est grande et moins l’effroi sera intense et inversement.
Le choc extérieur n’est peut être pas forcément fort ou intensif mais il touche de manière régressive à une angoisse ancienne, celle engendrée par la peur de la castration / de la mort, de la vengeance d’une force supérieure, celle du père (culpabilité est lié au complexe d’Œdipe).
L’absence d’angoisse préliminaire comme écran face au choc extérieur tend à faire sombrer le sujet dans une névrose traumatique.
La perte de confiance ou perte d’amour est liée à la perte d’indépendance relative que le moi avait acquis vis à vis du surmoi.
Cette situation qui ébranle la position narcissique du moi prend la forme d’un châtiment, d’une punition ou castration.
Le pare-excitation décrit par Freud, l’angoisse préliminaire ou le sommeil contribuent à repousser l’angoisse finale.
Système conscient – préconscient – inconscient
Le système préconscient pourrait se charger d’interpréter et d’évaluer la situation réelle ou la comparer avec des situations analogues déjà connues de l’individu. L’inconscient envisage de manière obstinée la situation à la lumière des affects propres à l’enfance.
Effroi et inquiétante étrangeté
Importance de la nature inquiétante et lugubre des impressions ressenties (inquiétante étrangeté).
Selon Freud, une expérience est ressentie comme étant inquiétante lorsque des complexes infantiles refoulés sont ranimés par quelque impression extérieure.
L’expérience traumatique peut avoir quelque chose d’inquiétant mais ce n’est pas sa caractéristique fondamentale.
L’inquiétante étrangeté freudienne n’est pas constituante de la névrose traumatique et de l’effroi.
L’aspect inquiétant d’une situation n’implique pas forcément que la vie est en danger. L’incertitude du sujet au regard de la réalité matérielle de la situation ou du stimulus extérieur le protège contre un traumatisme éventuel.
L’inquiétante étrangeté sous entend l’existence d’un stimulus lugubre.
La réalité mise en parallèle avec l’incertitude du fait permet de protéger le sujet de l’expérience traumatique.
Il faut que le phénomène inquiétant mette la vie de l’individu en danger et qu’il soit accompagné d’un choc violent pour que la névrose traumatique s’installe.
Un banal accident sans atteinte physique significative pourra entrainer une réaction inconsciente forte. C’est en quelque sorte un « prétexte » pour faire ressortir le traumatisme.
Par analogie, il est incontestable que les traumatisés de guerre qui ont, de surcroit été blessés physiquement, développeront moins de névroses traumatiques que ceux qui n’ont pas été blessés. La blessure physique ou l’altération d’un membre sert de pare excitation.
La culpabilité disparaît alors, l’individu estimant avoir déjà « payé » ce qu’il devait. Le fait d’avoir payé les exonère de devoir le faire à nouveau, d’où l’état euphorique dans lequel ils peuvent être parfois, au sortir de la guerre.
La perte d’un membre ou d’un organe marque et permet de nommer aussi celui qui n’était peut être qu’un numéro. La marque, la trace dit quelque chose.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons rappeler l’ensemble des éléments constitutifs de l’effroi évoqués par Th. Reik dans son œuvre, « Le besoin d’avouer » :
- Un choc extérieur pas nécessairement violent
- Un sujet en état conscient
- Un effet de surprise / une absence de préparation
- Un pressentiment de l’événement : « ça devait bien arriver »
- Une tolérance du moi faible
- Une faiblesse du pare-excitation
- Un refoulé ancien (petite enfance) à caractère sexuel
- Un sentiment de culpabilité