Léonard-Freud, deux œuvres à l’œuvre, du phallique à la sublimation

Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci – 1ère édition allemande 1910 1

En lien avec le séminaire d’Annie Tardits et d’Elisabeth Leypold : « Quels enjeux du phallique ? » dispensé au sein de l’École de psychanalyse Sigmund Freud (EpSF), nous avons tenté de mettre en exergue les occurrences du signifiant phallus dans le texte de Freud et, partant de là, ouvrir la réflexion à des investigations plus larges.

Deux axes de réflexion ont orienté notre travail :

A propos du texte de Freud
  • Pourquoi traite-t-il ce sujet ? comment interpréter le grand intérêt qu’il porte à Léonard de Vinci ?
  • Le contexte de l’écriture de ce texte : par rapport à l’œuvre de Freud, notamment, au regard de la sexualité infantile (cf. Trois essais sur la théorie sexuelle de 1905 et Théories sexuelles infantiles de 1909) ;
  • Les ajouts sur le vautour apportés en 1919 et 1923.
A propos de l’œuvre de Léonard de Vinci, la Sant’Anna Metterza ou Vierge à l’Enfant avec sainte Anne de 1500-1519 
  • Comment établir le lien entre le « souvenir » relaté par Léonard et ayant donné son titre à l’essai de Freud et la peinture de la Sant’Anna Metterza ? Cette œuvre picturale n’est pas une simple illustration/traduction mais l’expression et une clé de compréhension, une sorte de transposition de la relation ternaire « metterza » : le souvenir/fantaisie, la peinture et l’essai de Freud.

Les occurrences du signifiant « phallus » dans le texte de Sigmund Freud

Dans le texte de Freud Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci , nous avons relevé trois occurrences du signifiant phallus.

D’abord au début de la partie 3 (p. 145), sur la déesse Mout : « Cette divinité maternelle à tête de vautour fut, dans la plupart de ses figurations, dotée par les Egyptiens d’un phallus ; son corps, caractérisé comme féminin par les seins, portait aussi un membre viril en état d’érection. »

Cette phrase a comme une valeur de définition du mot phallus.

Puis, (p. 147), parlant de la mythologie : « Elle peut bien tenter d’expliquer que le phallus adjoint au corps féminin signifie la force créatrice originelle de la nature, et que toutes ces formations divines hermaphrodites expriment l’idée que seule la réunion du masculin et du féminin peut assurer une digne figuration de la perfection divine. »

Enfin, dans la partie 5 (p. 243) quelques lignes après la question : « Pourquoi tant d’hommes rêvent-ils de pouvoir voler ? », il écrit : « Si on raconte aux enfants avides de savoir qu’un grand oiseau, comme la cigogne, apporte les bébés, si les Anciens ont figuré le phallus avec des ailes, si la désignation la plus courante de l’activité sexuelle de l’homme est en allemand « Vögeln », et si le membre viril chez les Italiens s’appelle précisément l’ucello (oiseau), ce ne sont là que de petits fragments d’un vaste ensemble qui nous apprend que le désir de pouvoir voler ne signifie rien d’autre en rêve que le désir intense d’être capable d’activités sexuelles ».

Il utilise plus souvent les termes de « pénis, membre, membre viril, signe de la force virile, précieux organe ».

Il y aurait, nous semble-t-il, dans ce texte, une articulation entre les termes phallus, oiseau et aile ; le signifiant phallus ayant deux « L ».

Eléments biographiques de Léonard de Vinci (connus par Freud en 1910) et rapports œdipiens

Très peu de données historiquement vérifiables sont à disposition. Freud lui-même le souligna lorsqu’il écrivit cet essai, lui qui comptait Le roman de L. de Vinci de Merejkovski (écrivain et critique d’art russe – 1866 – 1941) parmi ses romans de prédilection.

Né à Vinci le 15 avril 1452 et mort à Amboise le 2 mai 1519, Léonard de Vinci est un peintre florentin et un homme d’esprit universel, à la fois artiste, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, poète, philosophe et écrivain.

Enfant naturel, d’une paysanne pauvre Catarina et d’un notaire Ser Piero da Vinci ; il a été élevé par sa mère les cinq premières années de sa vie (d’après le registre des impôts) pour être ensuite confié à son père et sa belle-mère Donna Albiera qui n’avait pas d’enfant.

Selon Freud, Léonard, l’enfant des femmes aurait conservé en mémoire une seule image, ce qui peut nous amener à penser que les deux femmes se fondent en un seul corps. Cette image sera par la suite projeté dans son ultime œuvre, L’Anna Metterza.

A ce sujet, nous pouvons apporter deux remarques :

  • Un corps maternel unique mais auquel l’enfant cherche peut-être à ajouter d’autres corps : l’attribut phallique, substitut du père absent ou/et écarté/dénié, et le propre corps de l’enfant (lui-même phallus pour la mère) tentant de retourner dans le sein maternel pour fusionner (cf. Anna Metterza abordée par la suite).
  • La recherche d’un père de substitution qui pourrait prendre la forme :
    • De Dieu, le Génie créateur, L. de Vinci s’assimilant à l’enfant Jésus (de conception virginale)
    • De la mère/père au double attribut (seins et pénis).

Merejkovski (écrivain et critique d’art russe – 1866 – 1941) dans Le roman de L. de Vinci – 1896 parlait des « baisers mystérieux et quasi-criminels lorsque, se glissant dans l’obscurité sous la couverture, dans le lit de Catarina (sa mère), il (Léonard) se serrait contre elle de tout son corps ».

Freud (p. 215) écrit à ce sujet : « […] La pauvre mère abandonnée dut laisser se répandre dans l’amour maternel tous ses souvenirs de tendresses vécues, ainsi que son aspiration à des tendresses nouvelles……Ainsi, à la façon de toutes les mères insatisfaites, mit-elle  son jeune fils à la place de son mari et lui ravit-elle par une maturation trop précoce de son érotisme une part de sa virilité. »

Puis « Léonard se rappelait sa mère comme à travers un songe. Il se souvenait particulièrement de son sourire tendre, insaisissable, plein de mystère, un peu malicieux, étrange dans ce beau visage simple, triste, austère et presque sévère ».

Ce souvenir se retrouvera sans doute dans les sourires de Sainte Anne et de Marie mais également, dans un certain nombre d’œuvres dont la Joconde, œuvre réalisée quasiment en même temps que la Sant’Anna metterza.

La naissance hors mariage de Léonard, la présence de sa mère durant les premières années de sa vie et celle de sa mère « adoptive » à la suite du remariage de son père ainsi que celle de sa grand-mère paternelle, et la quasi-absence de son propre père durant sa prime enfance ont favorisé un « trop de mères ». A partir de ces faits, on peut faire l’hypothèse que L’Anna Metterza entre en résonance avec sa propre vie et son imaginaire.

Freud écrit dans le chapitre V de son oeuvre que le père de Léonard, malgré son absence pendant les premières années de son enfance, jouera un rôle dans les années suivantes, au sein du rapport triangulaire : Ser Piero da Vinci – Donna Albiera – Léonard. L’enfant entra alors en relation de rivalité avec son père.

L’identification de Léonard à son père n’eut qu’un temps. A l’adolescence, Léonard choisira l’homosexualité.

Cependant, Freud considère que l’identification au père se retrouve dans sa façon de vivre (grand train, beaux vêtements etc.) et surtout par la création (le père eut 12 enfants, Léonard créa en tant qu’artiste et ingénieur). Mais, tout comme son père ne se souciait pas de ses enfants, Léonard ne se souciera pas de l’avenir de ses œuvres et les laissera souvent inachevées.

Enfin, Léonard se montrera en conflit avec l’autorité (avec l’image paternelle et la foi), préférant la liberté de la nature (la bonne et tendre mère qui l’avait nourri).

Freud met en parallèle la chute de l’autorité paternelle avec la perte de la foi religieuse. Léonard préfèrera se soumettre à la Nécessité, c’est-à-dire aux lois de la Nature, et n’attendra aucun allègement de la bonté et de la grâce de Dieu.

Selon Freud, Léonard avait dépassé la religion dogmatique comme religion personnelle et s’était, par son travail de chercheur, considérablement éloigné de la vision du monde du chrétien croyant.

Léonard de Vinci, un génie créatif pétri d’ambigüité : artiste et scientifique

L’intérêt de Freud pour Léonard de Vinci réside vraisemblablement dans l’existence d’une certaine proximité entre ces deux hommes :

  • Quant à la vie de Freud : il est le fils aîné né du 3ème mariage de son père ;
  • Quant à l’importance accordée aux Grands du genre humain et autres génies ;
  • Quant à la confortation de ses Théories sexuelles infantiles (réimprimées en 1909) : Léonard de Vinci constitue une parfaite illustration de la voie et de la dynamique de la sublimation suivie pour répondre à la pulsion « infantile » de savoir donc de recherche ;
  • Quant au roman de L. de Vinci qui se prête à accueillir le roman familial de Freud qui est peut être aussi celui de chacun d’entre nous.

Giorgio Vasari (1511-1574, peintre, architecte et écrivain à l’origine de la première histoire de l’art), auteur qu’affectionnait particulièrement Freud, qualifiait Léonard de Vinci d’être admirable et céleste : « Il y a en lui quelque chose de surhumain ». Son esprit n’arrête jamais de distiller des inventions subtiles mais il se livre aussi à toutes sortes de folies, il est mystérieusement attiré par certaines physionomies bizarres.

Dmitri Merejkovski dans Le roman de L. de Vinci (1896 ) écrivait à propos de Léonard « C’est un homme qui sait tout et ne croit en rien ».

Léonard de Vinci est un homme pétri de contradictions faisant montre d’ambivalence de la pensée et de ruminations incessantes. Léonard : « Aujourd’hui un démon, et demain un saint. C’est l’un et l’autre tout ensemble ». 

Freud va s’intéresser au cas de Léonard de Vinci car il aspire à être éclairé sur le processus créatif via la psychanalyse et la sublimation mise en œuvre chez l’artiste.

Freud a décrit comme activités de sublimation principalement l’activité artistique et l’investigation intellectuelle :

  • Il a notamment émis l’hypothèse « de la création artistique comme parallèle au symptôme ou lieu où se déverse une énergie psychique qui, autrement, conduirait à la névrose » ;
  • Et il ajoute : « quel est le destin pulsionnel de Léonard ? Comment a-t-il pu devenir ce chercheur multiple, ce peintre unique et toujours insatisfait, cet amoureux platonique des jeunes garçons ? »

Tous ces fils doivent se joindre en un point nodal, bien que Freud considérât que l’essence de la réalisation artistique est psychanalytiquement inaccessible : « Ne mettez pas trop d’espoir dans ce Léonard. Ne vous attendez pas à y trouver le secret de la Vierge aux rochers ni la solution du problème de la Joconde » – écrit il à Jones dans ses correspondances.

La pulsion de savoir en œuvre chez l’artiste et chez l’homme Léonard : la voie de la sublimation

Chez Léonard, comme chez le petit Hans (S. Freud, 1909), plutôt que « l’échec nécessaire de l’investigation primitive des enfants et l’effet paralysant qui en résulte », c’est la pulsion de savoir qui reste activement à l’œuvre : « Le grand Léonard qui était sexuellement inactif ou homosexuel (homosexualité que Freud qualifie d’idéelle, à savoir qui reste à l’état de fantasme, non consommée), était également un homme qui a tôt convertit sa sexualité en pulsion de savoir et qui reste accroché à l’exemplarité de l’inachèvement » (cf. Correspondances Freud – Jung – 17 octobre 1909).

Freud soutient que la pulsion de savoir surdéveloppée de Léonard est déjà en action dans sa toute première enfance et que sa suprématie a été scellée par des impressions de la vie infantile.

L’artiste parvient donc à détourner des parties très considérables de ses forces pulsionnelles sexuelles vers ses activités professionnelles, créatrices (capacité de sublimation).

Freud, dans les Trois essais sur la théorie sexuelle disait au sujet de la sublimation : « Les sublimations les plus nobles puisent au même fond pulsionnel que les aberrations les plus étranges, parfois les plus choquantes ».

Léonard de Vinci était un homme dont le besoin et l’activité sexuels étaient extraordinairement diminués, comme si la plus haute aspiration l’avait élevé au dessus de l’ordinaire nécessité animale des hommes (le fait qu’il soit végétarien n’est peut être pas un hasard ; son abjection pour la copulation humaine; son intérêt pour la dissection des cadavres au titre du savoir et de la recherche).

Au sujet de la période d’investigations de l’enfant qui s’achève, le plus souvent, par un refoulement sexuel (inhibition ou contrainte), Freud aborde dans cet ouvrage, les trois possibles destins de la pulsion de savoir :

  • L’inhibition qui peut être due à la religion ;
  • La contrainte assortie de compulsion de rumination, propre aux structures obsessionnelles ;
  • Ou la sublimation (la pulsion agit librement au service de l’intérêt intellectuel, évitant ainsi de s’occuper des thèmes sexuels).

Léonard aurait ainsi emprunté la voie de la sublimation, autrement dit, récupérer l’objet dans l’art.

L’inachèvement et la lenteur comme symptômes névrotiques

Vasari parlait de l’inachèvement qui caractérisait L.de Vinci dû à son souci de la perfection : « Son intelligence de l’art lui fit commencer beaucoup de choses mais n’en finir aucune car il lui semblait que la main ne pouvait atteindre la perfection rêvée ». 

« A vouloir toujours excellence après excellence, perfection après perfection, l’œuvre était retardée par le désir » disait Pétrarque.

L’inachèvement semble être, selon Freud, le symptôme majeur de L. de Vinci.

Cette difficulté à terminer ses œuvres, ou ce choix de ne pas mettre un point final ou de ne pas aller plus loin et au contraire de concentrer son travail sur la recherche du meilleur rythme de la toile, s’explique probablement du fait du conflit entre investigation scientifique et production artistique dans lequel l’artiste est pris, mais peut-être aussi du fait de certains traits de névrose obsessionnelle.

Ce conflit entre les arts et les sciences est également symptomatique de la Renaissance, puisque l’art de peindre pour les artistes de cette époque était fondé sur l’observation et les connaissances scientifiques.

Nous émettons l’hypothèse que l’inachèvement correspondrait à un questionnement sans réponse sur une problématique oedipienne du sujet Léonard.

Nous interrogeons sur les relations qui pourraient exister entre la pulsion de savoir, l’inachèvement et l’absence de castration. Pour Léonard, tout est possible : libérer les oiseaux en cage, rompre avec les conventions picturales de son siècle, s’opposer à la ferveur et aux croyances religieuses de l’époque, être à la fois artiste, scientifique, écrivain, architecte, ingénieur etc.

L’absence de castration symbolique de son père lui a ouvert des champs de possibles, bravant les règles et des contraintes sociales et religieuses de l’époque.

Le détournement de ses pulsions sexuelles lui a permis l’accès par la sublimation à ses activités professionnelles, créatrices.

« La hardiesse et l’indépendance de son investigation scientifique ultérieure présuppose cette investigation sexuelle infantile non inhibée par le père et la prolonge tout en s’écartant du sexuel » souligne Freud.

Cependant, le Léonard chercheur n’a jamais laissé, au cours de son évolution, l’artiste totalement libre. Il lui a peut-être causé dommage et il l’a, finalement, parfois réprimé ou du moins entravé.

L’évolution de ses intérêts qui, avec les années, allèrent toujours plus de son art à la science, n’a pas manqué non plus de contribuer à élargir l’abîme entre sa personne et ses contemporains, ces derniers considérant que Léonard perdait son temps avec ses recherches scientifiques vaines. Ceci tendrait également à expliquer les créations inachevées de Léonard, ce dernier ne se souciant pas du sort ultérieur de ses propres œuvres.

Le travail du peintre est alors détourné au profit de la science, l’œuvre valant en tant que recherche (en action) et non en tant qu’aboutissement (réalisation achevée).

Et il est remarquable de constater que ce mouvement intellectuel accompagne ce qui semble être la non-sexualité de L. de Vinci : un savoir scientifique en guise de connaissance excluant la satisfaction sexuelle.

En outre, il faisait preuve d’une extrême lenteur dans la réalisation de ses œuvres picturales (La Sant’Anna Metterza a été peinte entre 1500 et 1519 et encore, elle est considérée par l’artiste comme non achevée). Cette lenteur était, selon Freud, un symptôme de son inhibition, sous-entendue, sexuelle. Sa lenteur explique aussi son incapacité de travailler la fresque (nécessitant une mise en œuvre rapide) préférant l’huile.

Pour tenter d’expliquer comment Léonard est parvenu à choisir la voie de la sublimation (de la pulsion sexuelle dérivée vers un autre but, via la mère mais aussi sur la base du déni du père) allant de pair avec l’inachèvement et la lenteur, Freud (lui-même engagé dans une démarche de chercheur) trouvera des éléments de réponse dans le récit de ce souvenir d’enfance.

Récit unique du seul souvenir d’enfance de Léonard de Vinci

Selon Freud, Léonard n’a inséré dans ses écrits – en l’occurrence un écrit scientifique – qu’une seule fois une indication sur son enfance. Cette indication porte sur un souvenir.

Ce souvenir est très court et relaté ainsi : alors qu’il était encore au berceau, un vautour (selon la traduction de Freud alors qu’il s’agirait d’un milan) est descendu jusqu’à lui, lui a ouvert la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises, a heurté ses lèvres de cette même queue.

Léonard écrit : « Il me semble qu’il m’était déjà assigné auparavant de m’intéresser aussi fondamentalement au vautour car il me vient à l’esprit comme tout premier souvenir qu’étant encore au berceau, un vautour est descendu jusqu’à moi, m’a ouvert la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises, a heurté mes lèvres de cette même queue ».

Ce qui frappe dans ces quelques lignes de Léonard, ce sont les termes « fondamentalement » et « tout premier », qui évoque quelque-chose de primordial, originaire.

Freud considère que ce souvenir ne peut être considéré comme tel mais comme une fantaisie (phantasie = fantaisie / fantasie = fantasme) qu’il a formée par la suite et qu’il a reportée dans son enfance : « Cette scène avec le vautour ne doit pas être un souvenir de Léonard, mais une fantaisie qu’il s’est formée par la suite et qu’il a reportée dans son enfance » (p. 111).

La sexualité passive et idéelle de Léonard de Vinci

Le fait que Freud ait fait une erreur de traduction ou bien un lapsus entre milan (nibio) et vautour (geier) est peut être aussi lié au fait que, les Pères de l’Eglise (dont Léonard a pu avoir connaissance des écrits) voyaient dans le vautour un prototype naturel de la Vierge, celui-ci, selon la légende, pouvait être fécondé sans mâle, uniquement par le vent.

En se trompant, Freud a peut être rejoint à son insu ce qui a pu orienter Léonard vers le choix de l’Anna Metterza (cf. infra).

Le vautour semble l’oiseau le plus apte à résoudre le paradoxe suivant : préserver la mère de l’horreur de la copulation tout en assurant à l’enfant un lien charnel avec elle.

Concernant la sexualité ou plutôt, l’absence de sexualité de Léonard, Freud dit que, Léonard donna l’exemple d’un froid refus de la sexualité, qu’on n’attendrait pas d’un artiste et d’un peintre de la beauté féminine. Freud dit de lui : « La nature est pleine d’infinies raisons qui ne furent jamais dans l’expérience. Et pourtant l’expérience est la seule maîtresse qu’il se soit reconnue ».

Lorsque L. de Vinci était jeune apprenti chez le peintre Verrocchio, il fût dénoncé pour commerce homosexuel prohibé. Par la suite, lorsqu’il fût maître, il engageait dans son atelier des jeunes et beaux garçons qu’il prenait comme élèves mais, semble t-il sans avoir de rapports sexuels avec eux.

Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces jeunes garçons aient joué un rôle de fétiche pour Léonard (objet provoquant et satisfaisant un désir sexuel chez un sujet). Il avait, à leur égard, une attitude quasi-maternante. Il les choisissait pour leur physique et non pour leurs talents et, de ce fait, pouvait les dominer et les posséder.

Les comptes précis que tenaient Léonard concernant l’habillement de ses élèves sont-ils à rapprocher du fétichisme des étoffes, en tant que voile, substitut du phallus ?

L. de Vinci semble particulièrement attaché à prendre en charge l’habillement de ses élèves. Les habiller, c’est les cacher, les voiler, empêcher de voir et en même temps montrer.

L’étoffe est une surface écran (surface projective chez Lacan) sur laquelle tout un monde de représentations peut être projeté. Le voile est le lieu de projection de l’image fixe du phallus, le phallus symbolique.

Sa mère comme ses élèves, images de sa propre beauté enfantine, auraient été ses objets sexuels (phallus ?) et la contrainte de noter avec une précision méticuleuse les dépenses engagées pour eux serait le révélateur insolite de conflits rudimentaires (cf. névrose obsessionnelle).

Les investigations de L.de Vinci dans de nombreux domaines de la connaissance ont, selon Freud, pour explication, la pauvreté de sa vie amoureuse. Les passions orageuses, qui par nature exaltent et consument, dans lesquelles d’autres ont vécu le meilleur de leur vie, ne semblent pas l’avoir atteint.

Le fait que Freud ait fait une erreur de traduction ou bien un lapsus entre milan (nibio) et vautour (geier) est peut être aussi lié au fait que, les Pères de l’Eglise (dont Léonard a pu avoir connaissance des écrits) voyaient dans le vautour un prototype naturel de la Vierge, celui-ci, selon la légende, pouvait être fécondé sans mâle, uniquement par le vent.

En se trompant, Freud a peut être rejoint à son insu ce qui a pu orienter Léonard vers le choix de l’Anna Metterza (cf. infra).

Le vautour semble l’oiseau le plus apte à résoudre le paradoxe suivant : préserver la mère de l’horreur de la copulation tout en assurant à l’enfant un lien charnel avec elle.

Concernant la sexualité ou plutôt, l’absence de sexualité de Léonard, Freud dit que, Léonard donna l’exemple d’un froid refus de la sexualité, qu’on n’attendrait pas d’un artiste et d’un peintre de la beauté féminine. Freud dit de lui : « la nature est pleine d’infinies raisons qui ne furent jamais dans l’expérience. Et pourtant l’expérience est la seule maîtresse qu’il se soit reconnue ».

Lorsque L. de Vinci était jeune apprenti chez le peintre Verrocchio, il fût dénoncé pour commerce homosexuel prohibé. Par la suite, lorsqu’il fût maître, il engageait dans son atelier des jeunes et beaux garçons qu’il prenait comme élèves mais, semble t-il sans avoir de rapports sexuels avec eux.

Nous pouvons émettre l’hypothèse que ces jeunes garçons aient joué un rôle de fétiche pour Léonard (objet provoquant et satisfaisant un désir sexuel chez un sujet). Il avait, à leur égard, une attitude quasi-maternante. Il les choisissait pour leur physique et non pour leurs talents et, de ce fait, pouvait les dominer et les posséder.

Les comptes précis que tenaient Léonard concernant l’habillement de ses élèves sont-ils à rapprocher du fétichisme des étoffes, en tant que voile, substitut du phallus ?

L. de Vinci semble particulièrement attaché à prendre en charge l’habillement de ses élèves. Les habiller, c’est les cacher, les voiler, empêcher de voir et en même temps montrer.

L’étoffe est une surface écran (surface projective chez Lacan) sur laquelle tout un monde de représentations peut être projeté. Le voile est le lieu de projection de l’image fixe du phallus, le phallus symbolique.

Sa mère comme ses élèves, images de sa propre beauté enfantine, auraient été ses objets sexuels (phallus ?) et la contrainte de noter avec une précision méticuleuse les dépenses engagées pour eux serait le révélateur insolite de conflits rudimentaires (cf. névrose obsessionnelle).

Les investigations de L. de Vinci dans de nombreux domaines de la connaissance ont, selon Freud, pour explication, la pauvreté de sa vie amoureuse. Les passions orageuses, qui par nature exaltent et consument, dans lesquelles d’autres ont vécu le meilleur de leur vie, ne semblent pas l’avoir atteint.

Au départ de ses investigations, la science servait l’art. Par la suite, l’art a servi la science.

Tout au long de ce parcours, Léonard a converti sa pulsion de savoir, elle-même accrochée à l’exemplarité de l’inachèvement dans les domaines des arts et des sciences et une absence apparente d’intérêt pour la sexualité.

Comme si tous les moyens étaient bons au service de cette affirmation de L. de Vinci dans sa Conferenze florentine : « Aucune chose ne se peut aimer ou haïr si l’on n’en a pas d’abord connaissance. »

Outre l’art et la science, les investigations de L. de Vinci se tournaient également vers les jeux, illustrant par là, certains traits régressifs infantiles.

Freud dit de lui « Le grand Léonard resta d’ailleurs toute sa vie, par bien des côtés, un enfant. » Il lui arrivait de faire nettoyer des boyaux de mouton et de rassembler ses amis dans une pièce avec les boyaux minces et presque transparents. Dans une pièce voisine, il faisait gonfler les boyaux avec des soufflets de forge. Gonflé, le boyau remplissait toute la pièce et les gens devaient se réfugier dans les coins : « Ces objets transparents et plein de vent qui occupaient si peu de place au début et tant à la fin, il les comparaient à l’énergie personnelle » (ou génie selon les traductions).

Analyse du souvenir de Léonard par Freud, à l’instar d’un rêve : fantaisie (fantaisie / fantasme) de Léonard et erreur de Freud

Freud, dans son analyse du souvenir d’enfance de L. de Vinci, a traduit nibio (le milan) par Geier (le vautour). Cette erreur va faire gloser les historiens d’art et peu vont prendre en considération le travail de Freud.

Mais substituer milan par vautour n’altère pas l’essence même du fantasme à savoir, sa signification sexuelle d’avidité orale appliquée à une queue ainsi qu’une expression de passivité.

L’erreur est ponctuelle et ne met pas en cause l’ensemble des apports de l’ouvrage, qu’ils concernent le narcissisme, la genèse de l’homosexualité masculine, la représentation de la mère au pénis ou la conception parthénogénétique.

Cependant, étant donnée les caractéristiques ornithologiques de ces deux rapaces, il ne semble pas plausible qu’un vautour ait pu être l’acteur du souvenir d’enfance de Léonard, de par son poids, sa taille et son envergure. Le milan reste plus crédible mais les caractéristiques du vautour sont plus congruentes avec les éléments d’analyse que l’on peut faire du souvenir et de l’histoire personnelle de L. de Vinci. Ce n’est donc peut être pas un hasard si Freud a fait ce lapsus de traduction.

Dans l’intérêt scientifique que le maître a pour les machines volantes, le psychanalyste verra la passion désirante : transformer l’oiseau volant, le phallus ailé, en machine soumise au pouvoir de l’homme.

A propos du vol, Freud écrit que la psychanalyse donne une réponse : « Voler ou être oiseau n’est que la forme voilée d’un autre désir à la connaissance duquel on accède par plus d’un pont fait de mots et de choses […] Le désir de pouvoir voler ne signifie rien d’autre en rêve que le désir intense d’être capable d’activités sexuelles ».

Sexualité et homosexualité de L. de Vinci

Pour Freud, la traduction psychanalytique de ce souvenir d’enfance, de cette fantaisie, tend vers l’érotique : la queue / le membre viril, le pénis d’une part et l’introduction dans la bouche de l’enfant / la fellation, d’autre part.

Cet acte sexuel suppose un caractère passif et une attitude féminine du sujet ou d’homosexualité passive.

Cette pratique sexuelle n’est rien d’autre qu’une réélaboration de la tétée et de la prise du mamelon par la bouche. Derrière cette fantaisie ne se cache rien d’autre qu’une réminiscence du fait de téter le sein de la mère, scène dont L. de Vinci a entrepris de rendre par la peinture, en représentant la Vierge et son enfant.

Au chapitre IV de son ouvrage, Freud souligne l’intensité des relations érotiques entre mère et enfant. La fantaisie est composée du souvenir d’avoir reçu de la mère la tétée et les baisers. Selon Freud, le fait de recevoir la tétée et non de téter le sein maternel est un acte passif et par nature, homosexuel. Chez les homosexuels masculins, il y eu dans la première enfance, oubliée plus tard par le sujet, un lien érotique très intense à une personne féminine, généralement la mère, suscité ou favorisé par un surcroît de tendresse de cette mère et renforcé plus tard, dans la vie de l’enfant, par un passage du père en arrière plan.

La présence d’un père fort assurerait au fils, en matière de choix d’objet, la juste décision en faveur du sexe opposé. Père serait un repère ou balancier ou fléau, pouvant faire pencher l’orientation sexuelle dans un sens ou dans l’autre.

Aussi, l’amour pour la mère ne peut pas suivre le développement ultérieur conscient, il succombe au refoulement. Chez l’homosexuel masculin, le garçon refoule l’amour pour sa mère en se mettant lui-même à la place de celle-ci. Il trouve ses objets d’amour sur la voie du narcissisme, il aime comme sa mère l’a lui-même aimé enfant.

Au travers du refoulement de l’amour pour sa mère, l’enfant conserve celui-ci dans son inconscient, fixé à l’image mnésique de celle-ci.

En étant amoureux d’autres garçons, il fuit les autres filles qui pourraient le rendre infidèle à sa mère, seule femme aimable. Reste à savoir quel lien rattache la tétée à l’homosexualité.

La substitution du vautour à la mère et le recours à la mythologie égyptienne

Dans la fantaisie de la tétée, la mère a été remplacée par le vautour. Freud questionne sur ce remplacement. Il va rattacher ces deux signifiants et êtres à l’écriture hiéroglyphique : dans les pictogrammes sacrés des anciens Egyptiens, il se trouve que la mère s’écrit par l’image d’un vautour.

La divinité associée au vautour est la déesse égyptienne Mout (dont la similitude avec Mutter – la mère est assez surprenante, autant que celles avec les travaux de MM. Muther et Vater auxquels Freud aurait pu accéder).

Mout, figure maternelle à tête de vautour (voire, dans certaines représentations comme ayant plusieurs têtes), était dotée de seins et aussi d’un pénis en état d’érection (cf. récits du livre des morts – rouleaux de papyrus, recouverts de formules funéraires, placés à proximité de la momie ou contre celle-ci, dans les bandelettes), soit d’un phallus, au sens étymologique du terme.

Cette déesse synthétise à la fois les caractères maternels et masculins que nous retrouvons chez le vautour (la queue et le sexe féminin de cet oiseau – la nature du vautour étant alors perçue comme androgyne) et capable d’auto-engendrement.

Une telle formation divine exprime l’idée que seule la réunion du masculin et du féminin peut assurer une digne figuration de la perfection. Malgré la réunion d’attributs masculins et féminins, Freud (p.157) indique que la figure divine de Mout n’est pas pour autant hermaphrodite au sens où elle ne réunit pas les parties génitales des deux sexes ; elle ajoute aux seins, pris comme emblème de la maternité, « le membre viril tel qu’il se trouvait dans la première représentation du corps de la mère » dit Freud.

Déesse mère égyptienne, elle est fréquemment représentée en femme avec les ailes du vautour, symboles de protection des petits. Cette déesse n’aurait pas été engendrée mais serait née d’elle-même (auto-engendrement).

Freud parle alors d’énigme psychologique : « Comment une figure qui incarne l’être maternel peut-elle être pourvue « du signe antinomique de la maternité », celui de la force virile ? »

Elle est le symbole de la maternité parce qu’on croyait qu’il n’existait que des femelles et aucun mâle dans cette espèce d’oiseaux qu’est le vautour.

La légende égyptienne raconte que les vautours, à certaines périodes de l’année, s’arrêtent en plein vol, ouvrent leur orifice vaginal et conçoivent avec l’action des vents. Ce qui pourrait expliquer le parallèle établi avec le dogme de l’Immaculée conception de Marie (qui vaut pour Anne) et qui exclue le père (différent de la conception virginale du Christ pour Marie, dans une filiation maternelle).

Déesse dangereuse et redoutable (considérée comme l’œil du soleil), elle se transforme en lionne aux griffes acérées, mais sait aussi, drapée en vautour, veiller sur les hommes et leur redonner la vie.

Elle peut être représentée sous la forme d’un vautour, ou sous celle d’une femme portant sur la tête la dépouille d’un vautour, parfois surmontée du pschent (la double couronne d’Égypte), tenant un sceptre de papyrus et le signe Ânkh (signifiant la vie et symbolisant de l’au delà).

Freud fait l’hypothèse que le jour où Léonard lut ou entendit que les vautours étaient tous femelles et se reproduisaient sans le concours d’un mâle, surgit en lui la fantaisie qu’il était un enfant de vautour.

Deux représentations de la déesse Mout avec des attributs de vautour

Ces contes et légendes, ces mythes n’étaient sans doute pas ignorées de Léonard, puisque dans le codex atlanticus (catalogue de tous les ouvrages possédés par L. de Vinci) figurent des ouvrages de sciences naturelles, d’histoire même très anciens, et que la légende de l’unisexualité de la conception des vautours n’était nullement restée une anecdote insignifiante.

Cette légende fut reprise par les Pères de l’église, et particulièrement au XVème siècle pour démontrer l’Immaculée conception de Marie, exempte du péché originel.

Freud explique la fantaisie de Léonard de la manière suivante : « Le jour où il lut chez un père de l’Eglise ou dans un livre de sciences naturelles que les vautours étaient tous femelles et savaient se reproduire sans le concours de mâles, surgît en lui un souvenir qui se transforma en cette fantaisie, mais qui voulait dire qu’il avait été lui aussi un de ces enfants vautour, qui avait eu une mère mais pas de père, et à cela s’associa, de la façon dont seules des impressions si anciennes peuvent s’exprimer, un écho à la jouissance qui lui avait été dispensée sur le sein maternel. […] N’en vint il pas ainsi à s’identifier au Christ enfant, au consolateur et rédempteur, pas seulement de cette unique femme ? ».

Ce qui semble intéressant dans cette identification au vautour par L. de Vinci, c’est non seulement la surreprésentation de la mère, l’absence du père mais également l’étymologie latine même du vautour, à savoir, le ravisseur.

Léonard, enfant « volé », sans père puis ravi à sa mère pour une autre mère.

Freud interroge au chapitre III de son ouvrage sur les conditions de réélaboration du contenu mnésique réel (le vautour) en une situation homosexuelle.

La coda, la queue du vautour ne peut signifier rien d’autre que le pénis mais il ne comprend pas comment le processus de fantaisie, tel un rêve, peut en arriver à doter justement l’oiseau maternel du signe distinctif de la virilité.

Il écrit dans son texte : « Queue, « coda » est du nombre des symboles de désignations substitutives les plus connus du membre viril en italien, non moins que dans d’autres langues ; la situation contenue dans la fantaisie  – un vautour ouvre la bouche de l’enfant et y fourrage vigoureusement avec la queue – correspond à la représentation d’une fellation… »

Le terme « heurter mes lèvres avec la queue » de Léonard est devenu « fourrer vigoureusement » dans le commentaire de Freud.

Plus loin, Freud entreprend de convaincre le lecteur que la fellation n’est pas une pratique choquante puis ajoute :

« La poursuite de l’investigation nous apprend du reste aussi que cette situation si sévèrement réprouvée par la moralité révèle la plus innocente des origines. Elle n’est rien d’autre que la réélaboration d’une autre situation dans laquelle autrefois nous ressentions tous du bien-être ; lorsqu’ à l’âge de la tétée, nous prenions dans la bouche le mamelon de la nourrice pour le téter.

L’impression organique que produisit sur nous cette première jouissance vitale est sans doute restée indestructiblement empreint ; lorsque plus tard, l’enfant fait connaissance avec le pis de la vache qui, de par sa fonction, s’apparente au mamelon du sein, mais, de par sa forme et sa position au bas du ventre, à un pénis ». Freud poursuivra son développement au travers des théories sexuelles infantiles : l’absence de pénis de la petite fille va constituer une représentation inquiétante pour le petit garçon. Il va trembler pour sa virilité en se disant qu’il peut lui aussi subir le même sort mais va en même temps mépriser la petite fille dans la mesure où celle-ci a subi le cruel châtiment de la castration : « L’éclaircissement nous vient des théories sexuelles infantiles. Il y eut certes un temps où l’organe génital masculin fut trouvé compatible avec la figuration de la mère. Lorsque l’enfant mâle oriente d’abord son avidité de savoir sur les énigmes de la vie sexuelle, il est dominé par l’intérêt de son propre organe génital. Il trouve cette partie de son corps trop précieuse et trop importante pour pouvoir croire qu’elle manquerait à d’autres personnes à qui il se sent tellement semblable. »

A partir de là, il suppose que tous les humains possèdent un membre tel que le sien.

« Que le membre puisse manquer est pour lui une représentation inquiétante, insupportable… » dit Freud.

Il élabore alors deux solutions de conciliation : d’une part, le membre existerait aussi chez la fille mais très petit (il grandirait plus tard) et d’autre part, le membre était présent mais il a été coupé et laisse place à une blessure.

Freud écrit : « L’attraction érotique qui émanait de la personne de la mère culmina bientôt dans le désir ardent de son organe génital à elle, tenu pour pénis. C’est avec la connaissance, acquise seulement de façon tardive, de l’absence de pénis chez la femme, que ce désir ardent se tourne souvent en son contraire, fait place à une aversion qui peut devenir dans les années de la puberté cause d’impuissance psychique, de misogynie, d’homosexualité durable ».

L’hypothèse enfantine du pénis maternel est donc la source commune d’où procède la formation androgyne des divinités maternelles, comme Mout et la coda du vautour dans la fantaisie de Léonard.

La Sant’Anna metterza de Léonard de Vinci ou l’expression d’un souvenir d’enfance et sa clé de compréhension

L’œuvre de L. de Vinci présentée par Freud dans son texte et, objet de la présente analyse est dénommée Vierge à l’Enfant avec sainte Anne ou L’Anna Metterza. Elle est datée de 1500-1519 (date de la mort de Léonard), contemporaine de la Joconde (1503 – 1506) et assez proche dans sa structure, est exposée au Louvre depuis 1798.

Metterza est un terme dérivé de la langue vernaculaire médiévale, se référant à Sainte Anne, mère de Marie, qui signifie en tierce ou en troisième. Cette position peut s’apprécier à 2 égards :

  1. En 3ème dans la hiérarchie de la famille divine, avec Marie et Jésus. Ce type « Selbdritt Anna » (en langue allemande) était très populaire en Allemagne et dans toute l’Europe, depuis le XIVe siècle. Soit 2 femmes et le petit fils et fils, liés par le sang (Léonard lui, n’a connu que sa grand-mère paternelle) ;
  2. La notion de sainte Anne trinitaire ou sainte Anne tierce s’apprécie également au regard de la Sainte Trinité que forment Dieu le père, Jésus-Christ son fils (les 2 noms désignent sa double nature humaine et divine) et le Saint Esprit. Soit deux « hommes » si l’on peut se permettre de sexuer des êtres divins et un ”souffle”.

L’image trinitaire que constituent (à rebours) l’enfant Jésus, sa mère et sa grand-mère maternelle inscrit l’incarnation de Dieu (son fils fait homme) dans une lignée féminine qui exclut les hommes. Joseph en particulier est absent.

Par ailleurs la sainteté de cette lignée est révélée par l’analogie avec la Sainte Trinité (un Dieu unique divisé en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit).

Le terme et son iconographie étaient répandus en Italie et en Europe du Nord, en particulier au cours du XVe siècle. Le culte de Sainte Anne culmine entre 1485 et 1510. Même si ce thème a préexisté avant l’œuvre de Léonard de Vinci, aucune œuvre ne reprend ce thème unique, à savoir, la vierge à l’enfant et Sainte Anne accompagnés de l’agneau (l’agneau a remplacé Saint Jean Baptiste mais il ne le symbolise pas pour autant : Saint Jean Baptiste symbolise le baptême, donc la nouvelle vie après remise des péchés, alors que l’agneau représente le sacrifice, donc la mort à venir du Christ pour le salut des hommes).

Dans la Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, l’index d’Anne qui figurait dans certains travaux préparatoires (notamment des esquisses conservées à Paris et à Venise) a disparu dans l’œuvre finale, cependant inachevée. Il pourrait alors signifier l’absence de point de manque et donc, le pénis de la mère, en tant que l’enfant fait figure de phallus.

A titre de comparaison, l’index levé de Jean Baptiste, œuvre antérieure mais contemporaine de L’Anna Metterza, il symbolise selon Lacan le point de manque, le phallus sacrifié, effet dans le sujet du « pas de pénis » de la mère.

Saint Jean-Baptiste (1513-1516)

Le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci a été évoqué pour la première fois dans une description minutieuse qu’en a donnée, dans une lettre datée du 3 avril 1501, adressée à Isabelle d’Este (noble italienne, figure à la fois culturelle et politique de tout premier plan et considérée comme première dame de la Renaissance), Fra Pietro di Novellara, son agent auprès de Léonard : « La Vierge, se levant à demi des genoux de sainte Anne où elle est assise, veut se saisir de l’enfant pour l’écarter de l’agneau, victime expiatoire qui symbolise la Passion du Christ… Sainte Anne, elle, esquisse un geste pour retenir sa fille, comme si elle ne voulait pas qu’elle sépare l’enfant de l’agneau, signifiant peut-être par là que l’Eglise ne souhaitait pas empêcher la Passion du Christ. Ces personnages sont grandeur nature, mais ils tiennent dans un carton de petite taille car ils sont tous assis ou penchés et ils sont tous placés l’un devant l’autre en allant vers la gauche ».

L’oeuvre est symbolique puisqu’elle réunit les trois générations représentées par Sainte Anne, Marie et l’enfant Jésus, alors même qu’Anne était décédée avant la naissance de l’enfant.

Léonard renouvelle donc le thème en privilégiant l’aspect symbolique, grâce à l’introduction de l’agneau, attribut de Jean-Baptiste, mais aussi allusion au sacrifice divin. Les éventuels commanditaires de l’œuvre restent inconnus. En l’absence de document, on peut suggérer que le tableau, abandonné pour satisfaire à d’autres commandes, fut remarqué, en 1508, à Milan, par Louis XII, qui désirait sans doute honorer son épouse Anne de Bretagne. L’artiste emporta son œuvre en France et y travailla jusqu’à sa mort, la laissant finalement inachevée.

ANALYSE DE LA STRUCTURE DE L’ŒUVRE (formes et figures)

Substituant à la composition horizontale le schéma pyramidal (ce schéma donne forme à la filiation maternelle de Jésus et décale le positionnement de celui-ci lié au sort qui l’attend), Léonard enlace, enchevêtre les corps, multipliant les effets de contrapposto (désigne une attitude du corps humain où l’une des deux jambes porte le poids du corps, l’autre étant laissée libre et légèrement fléchie).

Importance des mouvements : élans et retenues

Les trois acteurs sont situés dans un vaste et vaporeux paysage ou réapparaît l’agneau docile, que l’enfant veut saisir.

Marie tend les bras pour l’en empêcher et se retient ; Anne, qui la tient sur ses genoux demeure impassible et songeuse ; Jésus se précipite vers l’agneau tout en regardant sa mère.

Importance des lignes et des regards

Les personnages constituent une masse entremêlée pyramidale, rompant avec les verticalités du paysage. La partie droite du drapé bleu de Marie fait lien entre le regard de la mère et celui de l’enfant.

Une ligne peut être tracée entre les différents regards : d’Anne, de Marie, de l’enfant et de l’agneau. (cf. schéma ci-dessous). Ces lignes jouent parfois dans les deux sens et toutes peuvent s’apprécier comme un lien « en cascade » entre deux personnages (Anne et Marie, Marie et Jésus, Jésus et l’agneau)

Anne et sa fille ne semblent pas avoir de différence d’âge, de taille ou même de corps (une même femme à deux têtes), contrairement aux autres œuvres présentant la même thématique, dans lesquelles, Sainte Anne est représentée toujours plus âgée ou plus grande.

La coiffe d’Anne marque le sommet de la pyramide et se confond avec le décor montagneux.

Le buste de Marie est central dans la composition et son visage semble être le vecteur du regard de Sainte Anne et de celui de l’enfant. Tous les regards y compris celui de l’agneau convergent vers Sainte Marie.

Figure centrale et pivot, Marie semble s’inscrire dans une dynamique (corps et âme), marque une hésitation, adopte un double élan dont on ne sait s’il est acceptation ou refus : tout est suspendu (sans plus de tension entre mouvements contraires) mais on pressent (et même on le sait) qu’il va y avoir basculement, en l’occurrence le sacrifice.

Par ailleurs, cet essai de Freud n’est-il pas lui aussi central dans son œuvre, son travail d’élaboration de la psychanalyse, lui qui a écrit à Ferenczi en 1919 que ce texte est « la seule belle chose » qu’il ait produite  » ?

Détails ou points essentiels des figures et des corps : yeux et sourires, drapés

Tout comme Sainte Anne aux yeux abaissés, Marie aux yeux ouverts et également étranges arbore un sourire mystérieux (plus marqué et mystérieux que celui d’Anne), à mi-chemin entre celui de sa mère et celui plus énigmatique de la Joconde.

Ceci peut s’expliquer du fait que, selon les dires, Léonard s’était pénétré des finesses physionomiques du visage de la Joconde avec une telle implication du sentiment, qu’il transféra ces traits – en particulier le mystérieux sourire et l’étrange regard – sur tous les visages que par la suite il peignit ou dessina.

Ce sourire dupliqué à plusieurs reprises dans les tableaux de Léonard n’est sans doute qu’une projection du doux souvenir de sa propre mère. Il s’efforça de recréer ce sourire  avec son pinceau dont il dota bon nombre de ses tableaux, y compris sur des personnages masculins comme Saint Jean Baptiste ou Bacchus, ce qui leur donna un caractère androgyne.

Les draperies, soigneusement étudiées dans les dessins préparatoires, sont demeurées à l’état d’ébauche, suggérant à Oskar Pfister (pasteur suisse 1873-1956 qui a pratiqué l’analyse et a établi une correspondance assez longue avec Freud), suivi par Sigmund Freud (dans son édition de 1919 qui intègre une note complémentaire et un dessin), l’ « image devinette » d’un vautour (ou d’un milan, selon la traduction correcte…).

Aussi Freud vit il dans l’œuvre la transcription d’un souvenir d’enfance de Léonard, fils naturel, enlevé à sa mère pour être confié à l’épouse alors stérile de son père, le vautour étant le reflet d’un rêve à connotation sexuelle…

Pour Freud, il est possible que Léonard ait dénié le malheur de sa vie amoureuse et l’ait surmonté par l’art en figurant l’accomplissement du désir, chez le garçon fasciné par sa mère, dans cette réunion bienheureuse du masculin et du féminin. A l’aide de ses motions érotiques les plus archaïques, il célèbre son triomphe sur l’inhibition, encore une fois surmontée dans son art.

A la fin de son texte Freud dira que deux particularités de Léonard de Vinci restent inexpliquées par la psychanalyse : « son penchant tout particulier au refoulement pulsionnel et son extraordinaire aptitude à la sublimation des pulsions primitives. […] force nous est de reconnaître que l’essence de la réalisation artistique nous est, elle aussi, psychanalytiquement inaccessible ».

Schéma de synthèse de la structure de l’œuvre de la Sant’Anna Metterza

La mère : double (fusion de deux femmes et femme dédoublée homme-femme) et cruciale

Dans la mesure où les corps d’Anne et de Marie sont fusionnés, formant une femme à deux têtes, on peut se demander s’il s’agit encore d’une Metterza. En ce sens, « ce tableau ne peut être que celui de L. de Vinci », dira Freud.

Le rapprochement des deux mères peut être comparé à la condensation des rêves, une condensation imparfaite qui conduit à présenter “une unité mixte”.

Concernant les drapés des femmes, vert, magenta, gris et cobalt semblent rythmer les parties des corps : bras, dos, buste, jambes. Les lignes et les couleurs valorisent, les habillant pour mieux les révéler, les gestes qui sont alors immobilisés et fixés à l’issue d’un « fondu enchainé ».

Un contraste notable est perceptible au niveau du drapé de Marie, entre la partie bleu cobalt et le reste plus fade des atours. Ce tissu bleu surligné d’un trait sombre semble sauter aux yeux du spectateur et rompre avec le sfumato du ciel.

Comme le fera remarquer Oskar Pfister en 1919, le drapé bleu laisserait entrapercevoir un vautour dont la tête se trouve à gauche du tableau et la queue à droite. L’extrémité de la queue (légèrement incurvée) ferait lien entre la bouche de la mère et celle du fils et les joindrait dans une fellation.

Freud évoque le rêve du vautour dès la 1ère édition de son essai en 1910.

Ce sera quelques mois plus tard que Jung lui signalera le cryptogramme de Pfister, cette “image-devinette inconsciente” (Jung voyait différemment le positionnement de l’oiseau : bec sur le pubis de Marie plus que dans son giron…).

Et ce sera dans la 2ème édition en langue allemande, en 1919, que Freud insèrera une note spécifique et un dessin faisant apparaître l’oiseau dans les plis de l’habit de Marie.

Léonard de Vinci a travaillé cette peinture durant près de vingt ans si l’on prend en compte l’ensemble des cartons et travaux préparatoires.

Parallèlement à son travail, son atelier a réalisé entre 1508 et 1516 deux œuvres intitulées Sainte Anne, la Vierge et l’enfant jouant avec un agneau (œuvres conservées à Los Angeles et au Musée des Offices de Florence).

Ces deux œuvres ont ajouté et retiré quelques détails que Léonard n’aura pas pris en compte dans son œuvre, dite inachevée du Musée du Louvre (sandales portées par les femmes, arbres à gauche de la toile, verdure plus abondante et montagnes au loin plus imposantes et plus marquées).

Par contre, il semblerait que le drapé de la robe de la Vierge ait été un sujet maintes fois travaillé et que sa forme finale n’ait pas donné satisfaction à l’artiste. Les plis arrondis dans le dos de la Vierge (bec de Vautour) seraient alors laissés en l’état jusqu’à sa mort sans être pour autant achevés.

Sainte Anne symbolise la mère naturelle, Catarina, avec laquelle Léonard vécu jusqu’à l’âge d’environ 5 ans, la plus éloignée dans son souvenir mais également dans le tableau, tandis que Marie prend vraisemblablement la place de Donna Albiera, sa seconde mère, la femme légitime de son père géniteur, qui a été bienveillante pour lui (tout comme sa grand-mère paternelle, Monna Lucia). Selon Freud, « Catarina fût poussée non seulement à dédommager son enfant de n’avoir pas eu de père qui voulût le caresser. Ainsi, à la façon de toutes les mères insatisfaites, mit-elle son jeune fils à la place de son mari et lui ravit-elle par une maturation trop précoce de son érotisme une part de sa virilité. Cet amour de la mère pour son enfant possède la nature d’une relation pleinement satisfaisante, qui comble non seulement tous les désirs psychiques mais aussi tous les besoins corporels, et s’il représente l’une des formes du bonheur accessible à l’être humain, cela ne provient pas pour la moindre part Selon Freud, « Catarina fût poussée non seulement à dédommager son enfant de n’avoir pas eu de père qui voulût le caresser. Ainsi, à la façon de toutes les mères insatisfaites, mit-elle son jeune fils à la place de son mari et lui ravit-elle par une maturation trop précoce de son érotisme une part de sa virilité. Cet amour de la mère pour son enfant possède la nature d’une relation pleinement satisfaisante, qui comble non seulement tous les désirs psychiques mais aussi tous les besoins corporels, et s’il représente l’une des formes du bonheur accessible à l’être humain, cela ne provient pas pour la moindre part de la possibilité de satisfaire sans reproche également les motions de désir depuis longtemps refoulées et qu’il convient de désigner comme perverses ».

Freud introduit ici le phallus en tant que l’enfant joue ce rôle pour la mère et ce, d’autant plus qu’il souligne l’absence du père.

L’enfant face au manque (absence du père) – manque qui réfère au signifié du phallus comme signifiant du désir de la mère – cherche à combler ce manque et se faire objet phallique de sa mère.

L’enfant – fétiche est, de facto, le substitut du phallus manquant à/de la mère. Le fétiche est-il l’Ersatz du phallus maternel, ou, de manière plus générale, l’Ersatz du phallus manquant de/à la femme ?

S’imaginer être le phallus de la mère est intenable et angoissant. L.de Vinci, en tenant la position de fétiche pour la mère aurait pu tomber dans la perversion (comment être à la hauteur du désir de la mère ?), mais de ça, nous n’en savons rien. Par contre, on peut se demander si cette angoisse dont il fût victime ne l’a pas amené à la sublimation.

Au chapitre VI de son ouvrage, Freud écrit : « Sa naissance illégitime le soustrait, peut être jusqu’à l’âge de cinq ans, à l’influence de son père, et le livre à la tendre séduction d’une mère dont il est l’unique consolation ».

Ceci est à mettre en perspective avec le fait que la mère serait double, dotée aussi de l’attribut « masculin ».

Ceci étant, la position de Catarina reste ambiguë dans la mesure où, il s’agit bien de Marie qui regarde attentivement l’enfant et non Anne et que, par ailleurs, il s’agit bien du vêtement de Marie qui laisse deviner le Vautour, symbole de la maternité, dont la queue fait lien entre le visage de Marie et la bouche de l’enfant.

Le fait que Sainte-Anne et Marie fusionnent dans un même corps montre la confusion dont l’enfant Léonard a pu être victime : plusieurs regards et plusieurs visages dans un même corps de femme. Freud parle de condensation en une « unité mixte » et souligne la difficulté de dire où finit Anne et où commence Marie, notamment au regard des cartons relatifs aux travaux préparatoires.

  1. Nota : les références aux pages de l’œuvre de S. Freud – « Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci » correspondent aux Editions Gallimard – NRF ↩︎
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